Seuls les citoyens d’origine non européenne sont absents de ce débat. Comment alors expliquer cette situation? Ceci reflète-t-il le peu d’intérêt que ces citoyens accordent à la politique, ou leur faible représentation politique et la discrimination qui peut en découler?
· La palme de la non-représentativité
Une chose est sûre leur représentation politique demeure désespérément faible, pour ne pas dire insignifiante. Par exemple, en 2004, année de trois grandes élections au suffrage universel direct (européennes, régionales et cantonales), sur 77 députés européens élus, 3 seulement (dont deux sortants) sont issus de l’immigration. Ils étaient 4 en 1998! Sur 1.719 élus conseillers régionaux, 44 sont issus de l’immigration ou des minorités visibles (DOM-TOM…). Sur 3.804 élus aux cantonales, 52 seulement sont issus de l’immigration et des DOM-TOM. Enfin sur 371 sénateurs élus au suffrage indirect (scrutin de liste, élus par leurs pairs), 2 seulement sont issus de l’immigration.
La palme de la non-représentativité des minorités visibles revient à notre assemblée nationale qui enregistre le triste record de zéro élu issu de l’immigration sur 577 députés élus au suffrage universel direct; le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est point aux couleurs de la France.
Le domaine politique le plus ouvert reste sans conteste celui des élections locales. Les élus y sont certes plus nombreux, toutefois, ils ne dépassent pas le millier sur 125.000 conseillers municipaux. Ils sont le plus souvent cantonnés dans des rôles de simples conseillers municipaux sans prérogatives. Les rares délégations qui leur sont confiées concernent généralement des domaines peu convoités par les autres élus. Tout se passe comme si certaines délégations (le sport, l’intégration ou la jeunesse) leur étaient destinées en priorité. Ils occupent rarement des délégations «importantes» (voirie, finances, environnement, urbanisme), ne sont jamais premier ou second maire adjoint, et figurent généralement à la fin de la liste des élus de leurs communes.
De plus, les Français issus de l’immigration ont été relativement nombreux à se présenter aux élections. A titre d’exemple sur le département de la Seine-Saint-Denis, ils représentaient 8,09% du nombre total des candidats, dont 7,5% représentaient des «petits partis» ou étaient sans étiquette, et 0,57% (2 candidats) seulement représentaient deux «grands partis» tels l’UMP et le PS. Les candidats des petits partis n’ont jamais dépassé les 3% du score, alors que les deux candidats des grands partis majoritaires ont eu des scores très honorables, 14 et 20%. Même constat pour les élections cantonales. L’échec des candidats non soutenus par de grands partis était programmé. Nombreux ont été ceux qui ont sollicité des investitures au sein des grands partis; lorsqu’ils ont été retenus, ils ont été le plus souvent, à dessein, relégués en fin de liste.
L’exemple le plus probant est celui de l’UMP, au moment des élections régionales, où certains élus, pour signifier leur mécontentement, ont décidé de se retirer des listes de ce parti (Zair Kedadouche, Rachid Kaci et Slimane Dib).
Malgré toutes ces embûches, malgré toutes ces difficultés, la France compte aujourd’hui quelques élus issus de l’immigration, qui sont, et c’est un fait, absents des débats sur le référendum. Ce n’est ni parce que le débat manque d’intérêt pour eux, ni parce qu’ils ne sont pas nombreux sur la scène politique, c’est peut-être tout simplement parce qu’ils n’y sont pas conviés. Car, après tout, on ne débarque pas sur un plateau de TV sans y être invité, pas plus qu’on ne prend la parole dans un meeting si on n’est pas programmé pour le faire. N’est-ce pas là une autre forme de discrimination?
Les hommes politiques ont besoin de tribunes, de visibilité, d’opportunités, pour se faire connaître, pour se positionner au sein de leurs partis. On pourrait voir dans cette absence, une volonté délibérée de faire rater cette occasion à ceux qui sont issus de l’immigration. Les absents, c’est bien connu, ont toujours tort! On ne saura donc pas, s’ils auraient eu tendance à privilégier le Oui, ou s’ils auraient penché vers le Non.
L’auraient-ils fait conformément à leurs convictions partisanes, comme les Européens à part entière qu’ils sont censés être? Ou bien auraient-ils tendance à chercher dans le texte de la Constitution, ce qu’ils pourraient considérer comme des éléments nouveaux pour les Européens entièrement à part qu’ils sont en train de devenir… par la force des choses?
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(*) Malika Ahmed est conseillère municipale déléguée à Aubervilliers, chargée de la petite enfance, du droit des femmes et de la lutte contre les discriminations. Elle est aussi présidente de l’Association «Les Couleurs de la France».
source l'economiste 18.05.05