Qu’on se le dise, le blédard n’est pas beur !
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- Écrit par SEZAME
- Catégorie : Chronique
Je venais donc d’être classé – et à raison – dans cette catégorie que les médias français ont toujours du mal à appréhender quand il s’agit d’évoquer les sempiternelles questions liées à « l’intégration », à « l’immigration », au « malaise des banlieues » ou encore à « l’islam des cités », etc… Le blédard, c’est le nouveau débarqué. Nouveau en comparaison de ceux qui furent transportés en France au siècle dernier et dont l’ancienneté a en quelques sorte été transmise à leurs enfants. Des enfants de nationalité française mais dont on parle encore comme des « fils d’immigrés » voire des « immigrés de la nouvelles générations » ou mieux encore comme des « immigrés français».
Blédard… Longtemps, ce terme a désigné, non sans un certain mépris, les cousins du bled. Ceux qui vivaient de « l’autre côté » et qui parfois, l’espace d’un visa ou d’une allocation de devises (qui se souvient de « ss’hâb trente-deux mille » ?), arrivaient en France pour quelques jours ou semaines. Mais aujourd’hui, le blédard, c’est avant tout celui qui vit depuis peu en France. Il n’y est pas né et s’il y a fait ses études, c’est souvent après le baccalauréat. Surtout, il parle l’arabe, du moins la darja, sans difficultés et ne dit pas « ouala » ou « sur le Coran » quand il doit jurer. En un mot, c’est l’Arabe de France, ou mieux, le Maghrébin de France qui n’est pas beur.
Le plus souvent, le blédard refuse absolument d’être confondu avec un beur. Dans ses rapports avec les « Français de souche » ou les « Gaulois » voire les « BBR » (bleu-blanc-rouge), il s’arrange rapidement pour mettre les choses au point. En un mot, son message c’est : « Je viens de ‘là-bas’. La cité, SOS Racisme et le reste, je ne connais pas ou peu. Et si c’est possible, je préfère ne pas connaître ».
L’auteur de cette chronique n’échappe pas à la règle. Il y a quelques années, je faisais remarquer à une consoeur parisienne que je trouvais symptomatique le fait qu’aucun journaliste de notre rédaction n’était beur ou encore mois d’origine antillaise ou d’Afrique noire. C’était en 2002, quelques semaines après l’arrivée de Le Pen au second tour et l’on parlait alors beaucoup de l’intégration et de l’absence de progrès en la matière. J’ajoutais même que notre journal n’était absolument pas une exception puisque la situation était identique dans toutes les chaînes de télévision et même dans d’autres quotidiens à commencer par celui « du soir de référence » toujours prompt à moraliser le monde via ses éditoriaux mais incapable de regarder sa propre réalité discriminatoire.
« Mais… et toi ? », m’a alors demandé ma consoeur. J’ai répondu sans réfléchir mais avec beaucoup d’irritation que ce n’était pas la même chose. Que j’étais tout sauf « le beur de service ». J’étais un migrant, un étranger empli d’une autre réalité – celle de son pays d’origine - qui avait cherché du travail ailleurs que chez lui ; Un Algérien qui aurait très bien pu atterrir à Doha ou à Montréal. A l’inverse, les stagiaires beurs que l’on voyait parfois passer dans la rédaction sans être jamais retenus – ils venaient pourtant des meilleures écoles de journalisme – étaient bel et bien de nationalité française. « Tu exagères ! », a insisté ma collègue en digne représentante de la bien « penseance »socialiste. « Il y a quand même des gens comme Rachid Arhab. Les choses avancent », a-t-elle ajouté. « Arhab est l’arbre qui ne cache aucune forêt » ai-je répondu pour clore cette discussion qui ne menait nulle part et qui reste encore d’actualité malgré les beaux discours et les promesses d’une télévision un peu plus bleu-blanc-beur.
Le premier observateur un tant soit peu attentif remarquera que le blédard et le beur ont des attitudes souvent différentes au quotidien. La relation que le premier entretient avec la France diffère en effet de celle qui, disons-le, oppose le second à ce même pays. Bien sûr, il y a le visa, les tracasseries à la préfecture et les obstacles – énormes, il ne faut pas se leurrer - pour l’emploi et le domicile. Mais le blédard est un optimiste. Inconscient peut-être mais optimiste ce qui le fait monter à l’assaut de citadelles dont il ignore tout de leurs défenses. Inconscience et absence de complexes qui, paradoxalement, lui ouvrent souvent des portes qui demeurent désespérément closes pour le beur. Le fait est que le blédard ne ressent pas sur son dos toute cette chape de rancœur et même de révolte que nombre de beurs peuvent éprouver à l’égard de leur propre pays. Un pays qu’ils ne cessent d’accuser de les avoir privés du minimum de chances pour réussir. Le blédard est déjà dans un rapport post-colonial avec la France tandis que le beur demeure – à tort ou à raison – englué dans ce « continuum colonial » que dénoncent les associations qui veulent faire de la journée du 8 mai, l’occasion de manifester au nom des « indigènes de la République ». Dans le regard, dans le discours du beur, il y a souvent un désir de revanche, une volonté exacerbée de se voire enfin reconnaître sa place dans la société française. Cela influe sur son attitude, sa manière d’appréhender les événements les plus insignifiants de la vie courante. La « beur attitude », c’est un mélange de fierté, de colère et de susceptibilité. C’est une souffrance que l’on devine mais qui ne rend pas pour autant sympathique celui qu’elle torture.
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