Le financement du culte et des pratiques musulmans en France 1ere séance : modératrice : Randi DEGUILHEM,
Randi DEGUILHEM, Hakim EL GHISSASSI Remarques introductives
Les normes juridiques du waqf, Jean-Philippe BRAS (professeur à l’Université de Rouen, directeur du CESJ)
Les waqfs ou habous constituent un instrument juridique rattaché à la famille de droit arabomusulman. Sa souplesse explique sa permanence et sa vigueur, mais aussi les difficultés d’analyse auxquelles le juriste est confronté. Du côté du droit public, il apparaît tantôt comme un instrument de police administrative, (contrôle de l’exercice des cultes et des communautés religieuses), tantôt comme un instrument du service public et de redistribution. Du côté du droit privé, il est au coeur du droit des successions, avec des implications sur le droit commercial, le droit foncier, … Dès lors, il paraît difficile de l’inscrire dans une démarche essentialiste. Du fait de sa plasticité fonctionnelle, le régime juridique des waqfs doit être appréhendé dans une perspective historienne, ce que l’on cherchera à illustrer à travers quelques lectures de spécialistes du droit musulman.
Construire et gérer une mosquée : Hakim EL GHISSASSI (journaliste, directeur du sezame.info, fondateur du magazine La Médina, Paris) Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
La construction d’une mosquée moyenne en France nécessite environ un million d’euros. Quels sont les dispositifs mis en place pour établir un programme financier de construction ? Quelles sont les entraves au cadre juridique ? Est-il licite de contracter des prêts bancaires avec intérêt ? Quelles sont aujourd’hui les innovations en matière de jurisprudence musulmane ? Ce sont les quelques questions auxquelles essayera de répondre cette intervention.
Les modes de financement du culte musulman en France: actualité et perspectives juridiques, Alain GARAY (avocat au barreau de Paris, chargé d’enseignements à la Faculté de Droit, U.
Étudier et exposer la question du « financement » du « culte musulman » en France suppose de s’interroger sur les termes choisis. D’abord, juridiquement et en droit financier, « culte » n’est pas synonyme de « religion » (le premier implique le second, sans le circonscrire). Par financement, il peut s’agir de financement privé (par exemple, générosité des fidèles ou mécénat d’entreprise ou de particulier) ou public - d’ordre étatique ou territorial, direct ou indirect (par exemple, par le biais de la fiscalité dite dérogatoire). Mais, c’est d’abord, affaire de générosité et de devoir des musulmans eux- mêmes (« fonds propres »). C’est enfin affaire de droit coranique et musulman.
Généralement, cette question porte sur les conditions de construction ou d’aménagement de lieux de culte alors que, pour l’actuel ministre de l’intérieur, « les musulmans de France ne bénéficient pas des mêmes conditions pour pratiquer leur culte que les autres religions implantées de longue date…Il faut pouvoir remédier à cette situation ». En réalité, les « conditions » précitées débordent celles des édifices du culte et intéressent aussi celles, complexes, de la situation financière des personnels religieux musulmans, des modalités financières des sacrifices rituels animaliers (commerce « rituel »), des ressources régulières des structures associatives (choix juridiques, incidences fiscales et sociales dont celle en matière de dons et legs, de dons manuels).
Il s’agit aussi d’une question d’actualité au regard de la mobilisation politique, récente, des
ministres de l’intérieur successifs (voir, par exemple l’article de Daniel Vaillant intitulé « Les
enjeux de la Consultation des musulmans de France » et les propositions de Nicolas Sarkozy. Ce dernier, ministre de l’intérieur, n’a pas hésité à poser la question du financement public des cultes, en général, et des activités musulmanes en particulier).
La question, très technique en terme de droit financier public et privé, dévoile donc les contours du consensus de discrétion qui présidait auparavant. Elle déborde le cadre du seul culte musulman dès lors que, s’agissant de l’Islam de France, comme le signale fort justement Pierre-Henri Prélot, « …c’est tout un mode de garantie et de régulation publique des pratiques religieuses qu’il faut refonder en profondeur, et pas seulement pour l’islam ». Emile Poulat en appelle à un « débat public, serein s’il est possible, mais d’abord informé et réfléchi », dès lors que, comme il a été jugé, « le principe de la laïcité de la République posé à l’article 1er de la Constitution …ne s’oppose pas à ce qu’une collectivité publique apporte, en vue de satisfaire un objectif d’intérêt général, une contribution financière au fonctionnement d’un culte ». Ce spécialiste souligne opportunément qu’« il serait trop long d’énumérer ce que la République reconnaît, subventionne et salarie dans le vaste domaine des activités religieuses, qui déborde largement ce qui, traditionnellement, concerne « l’exercice du culte ». C’est un étonnant catalogue (…)».
Il est donc temps de dépasser le constat en terme de déficit d’application du régime légal des cultes jadis présenté par Franck Frégosi en ces termes: « La législation cultuelle française n’est pas dans l’ensemble particulièrement discriminatoire par rapport à l’islam en général, c’est parfois sa non-application qui peut en revanche revêtir un caractère discriminatoire (construction de mosquées,) ». Il revient, non de décrire, tel un catalogue technique, les régimes financiers des activités cultuelles musulmanes en France, mais bien plutôt de vérifier s’ils relèvent d’un statut dérogatoire ou pas afin de mesurer, en terme de politique publique, en quoi le critère d’intérêt public en constitue, contre toute attente, l’une des caractéristiques.
La fondation française des oeuvres de l’Islam, Bernard GODARD (conseiller au Bureau central des cultes, Ministère de l’intérieur)
Le projet d’une fondation pour l’islam n’est pas nouveau. Ce concept est déjà apparu il y a une vingtaine d’années, sans jamais connaître un début de concrétisation. L’intérêt pour ce type de structure juridique découle de plusieurs raisons :
- La transparence et la rigueur qu’elle offre dans le mode de financement d’activités, jusqu’à
présent dépendantes de flux plus ou moins maîtrisés et mal contrôlés.
- La mise en place d’une rationalité dans les grands choix en matière de constructions de lieux
de culte, de financement de centres de formation de personnels religieux ;
- La possibilité d’assurer le financement de l’organe de régulation du culte musulman, le
CFCM.
Le dispositif juridique offert par la fondation, par l’intermédiaire de l’encouragement au mécénat, le rôle d’assistance de l’Etat avec la participation de ses représentants au conseil d’administration et la solennité conférée par le décret en conseil d’Etat (à l’heure où sont écrites ces lignes, l’avis du CE n’a pas été formulé) a permis de jeter les bases d’une fondation pour les oeuvres de l’islam de France où les principaux courants de l’islam de France sont représentés. Il convient d’examiner par quel processus cette entreprise a été rendue possible et quelles perspectives réelles elle offre au financement de l’islam de France.
2e séance : modérateur: Hakim El GHISSASSI
Fouad DOUAI (gérant de la SCI, Grande Mosquée de Strasbourg) Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.,
Construire une mosquée
Randi DEGUILHEM (IREMAM, Aix-en-Provence) Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., Transplantation
des usages musulmans en Europe. Les nouveaux waqfs de France : exemple de Secours
Islamique
Diversité de Situations, Pluralité de Réponses
Depuis les 14 derniers siècles, l’institution de waqf s’adaptait aux nouvelles situations, bien
diverses, en réponse aux différents besoins sociétaux ; parfois, en le faisant, le waqf assumait de nouvelles configurations. Omniprésent et au centre de l’infrastructure des sociétés musulmanes depuis l’époque omayyade, les fondations de waqf ont littéralement touché tous les secteurs socioéconomiques de l’urbain ainsi qu’auprès du rural. Le waqf était également institutionnellement important pour les communautés chrétiennes et juives du Maghreb et du Machrek ainsi qu’en Mésopotamie et en Iran et ce, jusqu’à la fin de la période coloniale (les waqfs chrétiens continuent à jouer un rôle non négligeable de nos jours au Liban en Syrie, en Palestine, en Jordanie, en Irak).
Les chartes de fondation de waqf (waqfiyya, kitâb al-waqf) aussi bien que les documents
enregistrés auprès des tribunaux de cadi, dans les awâmir sultâniyya, etc., concernant des opérations relatives à l’administration des waqfs déjà établis montrent l’adaptation des usages de droit et des lois vis-à-vis des pratiques de la société. Les écrits de fiqh tels les ahkâm al-awqâf, les fatwâ et autres élaborations de la sharî‘a dévoilent également la souplesse du droit religieux et de son interprétation à l’égard des nouvelles pratiques de waqf. Encore une fois, l’institution de waqf s’adapte aux nouvelles circonstances, cette fois-ci, dans une région située en dehors du dâr al-islâm, en Europe. Pour certaines organisations en France (et ailleurs en Europe et aux USA), il est utilisé comme modèle afin de financer des initiatives charitables et/ou publiques. Or la configuration ne conforme pas à la forme traditionnelle où un individu (ou, dans certains cas, quelques individus) établit un waqf pour financer des bénéficiaires spécifiques (que ce soit des personnes ou des institutions ou les deux) à partir des revenus provenant des avoirs immobiliers ou agricoles ou d’une somme d’argent lui appartenant. Selon le modèle traditionnel, le fondateur d’un waqf contrôle les 3 aspects de la fondation (même, en théorie, après son décès), à savoir le choix des propriétés qui rapportent des revenus à sa fondation de waqf, la quantité de ces revenus qui seront distribuée aux bénéficiaires spécifiquement indiqué par le fondateur du waqf en question ainsi que l’administrateur de celui-ci.
Or cette configuration triangulaire du waqf traditionnel change radicalement, dans sa nature
même, avec la création des nouveaux waqfs fondés en France depuis les derniers vingt ans qui est, d’ailleurs également la même configuration actuellement suivie dans la plupart des pays du Machrek et du Maghreb suite aux nationalisations des waqfs qui accompagnaient l’établissement économique des pays indépendants dans ces régions. Autrement dit, c’est maintenant l’état qui remplace le fondateur quant aux décisions des bénéficiaires des fondations – et la part des revenus qu’ils recevaient – ainsi que l’administration directe des avoirs appartenant aux waqfs et, finalement, la disassociation du nom d’un fondateur d’un waqf avec son bénéficiaire car il est l’état ou l’organisme qui décide définitivement le choix exact du bénéficiaire. L’exemple de Secours Islamique en France et leurs waqfs
Il est cette nouvelle configuration de waqf qu’adopte le Secours Islamique en France. En effet, le Secours Islamique propose l’achat d’une action qui sert à subventionner des projets humanitaires ou des services publics que l’on appelle waqf. Huit sortes de waqf sont proposés aux intéressés ; l’achat d’une action donne le droit au donateur (qui remplace ici le fondateur d’un waqf, qui n’est plus d’ailleurs connu comme un wâqif/a) d’associer son nom à l’activité humanitaire ou au service public subventionné par le Secours Islamique, mais le donateur ou la donatrcie n’a nullement le droit de choisir le bénéficiaire spécifique de son action. Il choisit tout de même parmi huit domaines d’intervention : 1 – le waqf de l’eau ; 2 – le waqf des orphelins ; 3 – le waqf de santé ; 4 – le waqf de l’éducation ; 5 – le waqf des activités économiques ; 6 – le waqf de sacrifice de l’agneau ; 7 – le waqf d’intervention d’urgences ; 8 – le waqf général. Structurellement, un Conseil du Secours gère les actions qui soutiennent ces activités qui sont menées à l’échelle mondiale.
L’imamat en France ou l’émergence d’un nouveau clergé dans l'espace national ? Solenne JOUANNEAU (doctorante allocataire de recherche Paris VII, URMIS – LaSSP)
L’islam, compte tenu de son implantation relativement récente au regard des autres « religions du livre » présentes sur le sol français peut être considéré comme un champ religieux en formation au sein duquel l’imamat semble être traversé par des logiques concurrentes d’appropriation de la légitimité religieuse. Cette communication, reposant sur la réalisation d’une trentaine d’entretiens auprès d’imams de Midi Pyrénées et d’Alsace, tentera donc d’expliciter les processus de construction de la légitimité religieuse des imams. A partir de leur profil et de la configuration des associations gérant les lieux de cultes où ces derniers officient, nous montrerons comment un certain nombre de concepts de la sociologie religieuse du protestantisme peuvent se révéler heuristiquement féconds pour la compréhension de l’imamat en France.
Bien que l’islam soit généralement considéré comme une religion sans clergé, les imams, de par les fonctions qu’ils occupent, répondent en grande partie à la définition du clerc. Clercs dont la légitimité religieuse repose en grande partie sur une « autorité idéologique » proche de celle des pasteurs [Willaime, 1986], bien qu’elle connaisse des formes de routinisation particulières aux différents modes d’organisation des associations musulmanes en France.
L’UOIF et l’institutionalisation de l’Islam « de France », Anne-Claire KERBOEUF (Doctorante en Histoire, Université de Provence, Aix-Marseille I,
En 1983, lors de son premier rassemblement, l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF) représentait une quinzaine d’associations et était avant tout une rencontre religieuse et spirituelle où les jeunes discutaient entre autre de guerre sainte (djihad).
En mars 2005, au cours de la 22ème Rencontre Annuelle des Musulmans de France, l’UOIF (qui représente 300 associations) a manifesté tous les signes d’une quête de légitimation : discours modéré harmonisant islam, république et laïcité ; invitation du recteur de la Grande Mosquée de Paris Dalil Boubakeur, représentant « historique » des français musulmans ; parole donnée (et écoutée) à des chercheurs de renom. Autre phénomène curieux : le développement des stands commerciaux annexes à la manifestation.
Dans l’intervention que nous proposons, il conviendra de poser les jalons de l’évolution sociohistorique, de cette institution mal connue. Et de s’interroger sur le rapport de l’UOIF à l’Etat : l’UOIF entend-t-elle jouer le rôle d’instrument de canalisation de l’islam radical ? quel poids et quelle représentativé au sein du Conseil français du culte musulman ?
D’un point de vue interne : comment les adhérents de cette institution perçoivent-ils son
positionnement « républicaniste » ? Ce discours consensuel résistera-t-il aux divergences
internes ? Ce sont là les premiers questionnements d’un terrain riche et large à défricher/ déchiffrer.
Aliments religieux et financement du culte musulman, Florence BERGEAUD-BLACKLER chercheur à l’Université de la Méditerranée, Marseille,
LA réflexion sur les sources de financement des mosquées et des institutions musulmanes est portée par une plus vaste réflexion sur la laïcité "à la Française". Le problème du financement du culte musulman sert d’illustration à des théories générales sur la construction républicaine ou le rapport de la République à ses minorités religieuses. Du coup
peu de solutions de financement pratiques et fiables sont évoquées comme par exemple celle du financement du culte musulman par la viande halal. Mais alors les difficultés rencontrées e sont pas inhérentes au modèle national. La globalisation des échanges affecte aussi les iens, et objets du culte. En établissant une réglementation sur l’abattage rituel, sans réguler ls produits qui en sont issus, les Etats ont créé des objets religieux, des consommateurs religieux, créateurs de richesses et apatrides. Nous nous interrogerons sur la mesure dans aquelle ces produits religieux peuvent effectivement financer les institutions islamiques de France.