Le théâtre et la question iraquienne
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- Écrit par SEZAME
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« L’invité d’Allah » : Ce que dit la terre noire…
Au royaume des jardins suspendus, des mille et une nuits, une logique rampante, comme un rouleau compresseur, écrase tout signe de vie, hommes, femmes, enfants, animaux, volatiles, maisons…La machine infernale est en marche ; la conscience du vertical et en hibernation.
L’héritage culturel et symbolique du pays des deux fleuves est au monde arabo-musulman ce qu’est l’hellénisme au continent européen. Depuis la nuit des temps, ce croissant fertile a connu un flux migratoire, des empires, des sumériens aux ottomans, aux arabes et musulmans. Cette portion de terre est connue par un topo rude en perpétuelle colère ; ne dit-on pas que c’est le pays du déluge ? L’Iraq en a connu de toutes les couleurs, d’origine naturelle et humaine ; le tempérament rebelle des autochtones ne reflètent-ils pas la colère de la nature ? De l’Euphrate et du Tigre quand ils débordent ! Toutes ces considérations m l'ont poussé à lire surtout en arabe quelques textes fondateurs, « l’épopée de Gilgamesh », des ouvrages d’histoire ancienne et de littérature jusqu’à la chute de l’empire ottoman et du début de la colonisation anglaise…Ce voyage dans le temps historico-mythique permet d’interroger le présent. Au fait, n’ayant jamais mis les pays en terre iraquienne, la lecture est son seul voyage ; scandalisé par l’horreur qui sévit dans cette portion du monde, il a décidé d’écrire !
Quoi ? Comment ? il ne sais pas ! Alors, une nuit d’été, il a commencé à mettre un mot à côté d’un autre ; il s'est rappelé Serge, son prof et ami, qui lors de quelques séances désignées communément d’atelier d’écriture, l'a souvent embarqué... Serge lui a apprit à voyager sur le dos d’une lettre d’alphabet ! Et l’idée d’une pièce de théâtre prend forme ; il n’y a pas mieux que le théâtre comme forme d’expression pour évoquer des faits tragiques, avec des personnages prenant en charge leur propre discours, et que l’on peut animer, réanimer et déplacer sur une scène, sur une terre. Evidemment, il n'a pas tout vu comme Gilgamesh du sommet des ziggourats, ne peut non plus prévoir le déluge et prétendre à l’immortalité ! A force de voir son texte avancer ; il le porte en lui, au cours de ses promenades dominicales au Maroc, dans sa ville. il a l’impression qu'il traverse la grande artère Al Rachid de Bagdad. Rencontre des hommes, des femmes, des enfants qui le saluent…il découvre à sa grande surprise des livres posés à même la terre, des chiens autour d’ordures, d’immondices. Le livre tant vénéré, protégé, lu et relu, légué aux générations successives est maintenant vendu dans des conditions avilissantes, le boycott a touché les estomacs, adieu science, savoir, littérature… ! C’est en ce moment là qu'il a réalisé qu'il a attrapé le virus de la terre noire. La lecture aussi d’un grand romancier et amoureux du pays des deux fleuves l’a accroché passionnément ; Abderrahmane Mounif, ingénieur de formation, est venu à l’écriture par amour à ce pays ; ces écrits prolifiques témoignent d’un talent sorcier, singulier et d’une poétique interpellante « Les arbres et l’assassinat de marzouk » « les villes du sel », « La terre noire »
Avec la lecture, il a vu Nazek, alchimiste du verbe, vu Ghada, pense à cette héroïne légendaire « Ghadatou Karbala » de Georgi zaidane, retraçant l’âge d’or d’ empires musulmans. Dans les méandres de Babel, les scribes étaient là, dans leurs accoutrements solennels, juchés sur une estrade lisant des textes anciens. Ici le temps n’a pas de repères, pas de passé, pas de présent, pas de futur; il faudrait laisser les signes vous envahir, fascination d’un retirement dans les dédales de la tour des merveilles.
Une belle créature descendit de l’étage supérieur, Ishtar peut être, symbole de l’amour et de la fécondité, dans sa belle parure, kaftan rouge, khôl, une quelconque poudre magique sur ses joues vermeilles. Grâce unie à la magnificence du cercle. Elle prit place auprès des scribes qui l’épiaient d’un regard tantôt curieux, tantôt tendre. Magie du cercle lumineux…Le grand récit se déployait sous les yeux malicieux des scribes…Chacun y cherchait vainement sa trace…Sa voix…
C’est dans cet univers féerique et mystique de l’auguste orient que « L’invité d’Allah » (1) a vu le jour, un cri, une clameur poétique de l’orphelin petit grain de sable, aux portes du désert…
Ecoutons ce que dit l’orphelin petit grain de sable :
(Extrait de la pièce)
« Ô ! Poètes et sages du village
Aux portes du désert
Je suis l’orphelin grain de sable…
(Silence)
Ô ! Bagdad !
Je ne suis pas venu d’ailleurs
J’étais là dans ton coeur
Au pays de la terre noire
Face au sublime miroir
Enfant téméraire
D’un pays séculaire
Depuis des millénaires
Suivant ton itinéraire
Dans ton sublime jardin d’Eden
Sous l’ombrage de l’arbre de vie
Le grand arbre légende de mes ancêtres
Entre tes petits seins en frisson
Odeurs suaves des vallons
Onde miroir de cristal
Défile le temps
Assis sur une pierre
Chargée d’histoire
Admirant l’or du soir
Retirement de l’âme
Retour à l’antre de ma mère
Voyageurs téméraires
Mettant pieds à terre
Majnouns errants inlassablement
Aux rivages du Tigre
Tissant une épopée d’amour
De passion …
Ô ! Ghada !
Depuis que tu as quitté ton balcon
Les douces muses se sont retirées
Dans les limbes du firmament
J’étais là Majnoun
Voyant défiler mes rêves
Ma passion
Mon destin
Sans trêve
Le long de l’onde verte
Bribes de temps dérobées
A la longue durée
Au grand RECIT des tablettes
Aux TRACES des scribes…
Que s’est- il passé ce matin ?
Qui a brisé les portes de la ville ?
Qui a osé franchir la porte de Dieu ?
D’où viennent ces ténébreuses nuées ?
O ! Ghada, mon amour
Le bel astre ne s’est pas levé ce matin ! »
(1) L’invité d’Allah, Ahmed Hafdi (Février 2006) « Livre disponible aux Editions Le Manuscrit- www.manuscrit.com »
http://www.manuscrit.com/catalogue/textes/fiche_texte.asp?idOuvrage=7160