Hakim El ghissassi, l'économiste, 11.06.04
· Les relations euro-med, donc euro-arabes, ne sont pas dans la campagne
· Le monde arabe est-il prêt pour la concurrence et la transparence?
· Périgot: «Barcelonne plus actuel que jamais»
De l'avis de nombreux acteurs politiques et économiques, la construction d'un espace d'échange entre les deux rives de la Méditerranée ne pourra se construire sans un changement de perception. L'islam est au centre de toutes les préoccupations. Les mouvements nationalistes essoufflés ont laissé la place à l'expression religieuse, malgré une nette sécularisation des sociétés arabes. Pour Hassan Abouyoub, ambassadeur du Maroc en France, depuis Charlemagne, l'islam et le citoyen arabe sont vus d'une façon péjorative. Ainsi, le monde arabe est confronté à la prévisibilité institutionnelle, à une défaillance dans la gouvernance, à un retard dans l'éducation et la gestion de l'économie du savoir et à une faible compétitivité économique. Le monde occidental prend le monde arabe comme un bloc homogène, d'où l'échec de tout projet qui négligera les spécificités et la multiplicité du monde arabe.
Dans le même registre, Ghazi Hidouci, ancien ministre algérien des Finances, fait une distinction entre un monde arabe pétrolier et un autre non pétrolier, et pointe une différence d'approche religieuse. Pour lui, il y a une menace d’extension de l'action militaire américaine à d'autres pays arabes ainsi que de sa mise sous tutelles économique et politique. En effet, le problème de l'évolution démocratique est mal posé quand il n'émane pas de l'intérieur des sociétés. Il y a ainsi un travail à faire sur le renouvellement des classes politiques, et principalement sur l'élargissement de la base sociale, sans laquelle les catégories sociales qui dominent la vie politique continueront à détruire la société de production en la remplaçant par une société rentière.
Serge Boidevaix, ambassadeur de France, président de la Chambre de commerce franco-arabe, tempère quant à lui le pessimisme qui traverse le monde arabe. Le monde occidental est, selon lui, de plus en plus tributaire du pétrole arabe, et avec les nouvelles formes d'utilisation des rentes pétrolières, le monde arabe a de l'avenir. Les pays arabes ont ainsi besoin de définir une politique industrielle qu'ils doivent mettre en place avec l'Europe, et c'est dans ce sens que l'Europe veut contribuer à des projets de coopération. Ce qui laisse Hassan Abouyoub de marbre, et le conduit à se demander si l'aide octroyée au monde arabe n'est finalement qu'un cache-sexe. Le monde arabe n'est en tout cas pas dans les priorités de la Commission européenne.
Ce qui n'entame pas l'optimisme de François Périgot, président de la section internationale du Medef, pour qui le marché commun du sud est très important, tant symboliquement que réellement. Si on ne crée pas ce modèle de sud méditerranéen, l'échange entre le nord et le sud ne pourra ainsi pas se faire, et la zone de libre-échange ne pourra se réaliser. Le processus de Barcelone est plus actuel que jamais, et il faut que toutes les sociétés arabes s'y mettent. Or, cela figure-t-il sur l'agenda des Américains? Pour Adam Mekaoui, expert dans les relations euro-marocaines, l'union douanière sera une étape supplémentaire dans les relations entre le Maroc et l'Europe, elle permettra une fluidité commerciale et une intégration plus poussée. Mais le monde arabe est-il prêt à supporter un monde économique basé sur la concurrence et la simplification des procédures administratives?
Autant de questions absentes du débat européen, mais qui sont structurantes pour l'avenir de la zone euro-méditerranéenne, voire au-delà. Car ce qu'il faut garder à l'esprit, c'est que l'Europe peut être une chance pour la paix.
H. G.
source : l'économiste, 11.06.04