Yves Guéna vient de prendre ses fonctions à la tête de l’Institut du Monde arabe à Paris, institut qui est maintenant bordé par une place nommée Place Mohammed V. Le jeune Yves Guéna avait servi au Maroc, sous le protectorat, puis a fait une carrière politique remarquée à Paris, notamment en tant que ministre du Général de Gaulle. Il est parmi les hommes politiques français qui connaissent le mieux le monde arabe. - L’Economiste: Dans quelle perspective allez-vous mener l’activité culturelle de l’IMA?
- Yves Guéna: L’IMA est un lieu de rapprochement entre les civilisations. En plus de l’histoire culturelle arabe, il y a un effort qui est fait sur les pays arabes dans leur état actuel, et ceci à travers des expositions thématiques, la photographie, le cinéma et des réflexions sous forme de colloques ou de débats. Nous sommes entre deux civilisations, nous avons à jeter des ponts entre les deux cultures arabe et française. Il est clair qu’il y a une partie de notre population qui est d’origine arabe et de confession musulmane à intégrer davantage au sein de la République française; mais également, leur présence enrichit la République avec la culture de cette nouvelle population. Je considère qu’on pourrait en faire plus pour que ces populations trouvent leur place dans la République et dans son espace laïc.

- Quelle place du politique dans l’IMA?
- Pour ce qui est des questions politiques, elles sont ouvertes, toutefois, notre vocation n’est pas de débattre sur l’Irak dans son état actuel, ni sur le problème israélo-palestinien. Nous sommes à un niveau de contacts qui permet de traiter sans passion tous autres sujets.

- L’IMA passe par une crise financière ; quels sont les moyens que vous allez déployer pour améliorer la situation financière de l’Institut ?
- Nous ne sommes pas dans une crise financière, il y a un problème de provisions pour l’investissement à venir. Nous avons un capital, un fonds qui a été constitué par les versements des pays arabes, dont les revenus ne représentent qu’une faible partie du budget de l’Institut. Nous avons des rentrées à travers la librairie, les expositions, la tente de la médina, elles ne sont pas négligeables car elles approchent la moitié de notre budget. Reste l’autre moitié.
L’IMA est une fondation publique, la République française depuis 1990 nous donne plus de 8,5 millions d’euros. Je vais mettre tout mon crédit politique pour qu’il ne manque pas trois sous pour finir l’année. Je rencontre également tous les ambassadeurs arabes afin qu’ils honorent leur participation et je n’exclus personne.

- Les services de l’IMA manquent-ils de moyens pour mener à bien leurs activités ?
- Il n’y a pas de structure sans problèmes de fonctionnement. Malgré toutes les difficultés, les programmations de l’IMA sont de bonne qualité. Nos services réussissent à s’adapter et à rationaliser les dépenses.

- Quel regard avez-vous sur le monde arabe aujourd’hui?
- J’aime le monde arabe car je ne suis pas indifférent à la culture et à la religion islamiques. Je suis triste de tout ce qui se passe dans le Moyen-Orient, en Irak, en Afghanistan, la tension syro-libanaise, la difficulté à trouver une solution pour la Palestine. C’est par le dialogue qu’il faut régler ces problèmes.

- Que pensez-vous de l’évolution du Maroc?
- J’ai un faible pour le Maroc, j’ai servi pendant le protectorat, j’étais officier dans la division Leclerc et j’ai vu les Marocains se battre avec courage et endurance. Je trouve que la situation au Maroc est bonne. J’ai entendu parfois des officines expliquer que le pays n’était pas démocratique. Combien avons-nous, nous Français, mis de temps pour achever la démocratisation? Je ne donne de conseil à personne. S’il y a un pays à qui on n’a pas beaucoup de conseils à donner, c’est bien le Maroc, eu égard aux efforts qu’il déploie dans le cadre des réformes économiques et politiques courageuses qu’il a mises en place.

- Vous êtes président de la Fondation Charles de Gaulle, quelle est la politique arabe de la France?
- Le Général de Gaulle avait une politique arabe dont notre président de la République s’inspire aujourd’hui. Il a toujours été progressiste. En témoigne la croix de Libération dont il a décoré Mohammed V, alors Sultan du Maroc. Nous savons par ailleurs qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, la création de l’Etat d’Israël était normale. De Gaulle l’approuvait. Mais je pense que les Arabes n’ont pas oublié que, lors de la guerre de 1967, le Général a pris une position courageuse car il a considéré que les Israéliens n’avaient pas à déclencher la guerre. Il a déclaré: “Si vous déclenchez une guerre, il y aura occupation, quand il y a occupation, il y a résistance puis répression et quand il y a répression, il y a terrorisme. Voilà le risque que vous prenez».

- La France va-t-elle se réconcilier avec son histoire coloniale et principalement algérienne?
- Le Général de Gaulle était conscient de la situation, il lui a fallu quatre ans pour mettre un terme aux affrontements qui sont effacés assez largement de la mémoire. Certaines franges de la France ont une culture d’autoflagellation ; pas moi. Quand il y a eu l’indépendance, les relations se sont établies sur des bases nouvelles. Aujourd’hui les relations entre notre président Jacques Chirac et les trois pays du Maghreb sont d’une rare cordialité.
Quand j’ai reçu le Conseil constitutionnel algérien lorsque j’étais président du Conseil constitutionnel français, j’ai rappelé la longue histoire franco-algérienne. Quarante ans ont passé depuis l’indépendance de l’Algérie. “Lifat mat” , ce qui est passé est fini.

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Les «pharaons»



A la mi-octobre, les présidents Chirac et Moubarak ont inauguré, dans les locaux de l’Institut du monde arabe à Paris, une grande exposition sur l’Egypte ancienne, «Pharaons». Il n’y pas de meilleure idée pour attirer un large public qu’une exposition sur l’Egypte et par là faire connaître l’IMA. En effet, ce magnifique bâtiment doté de références rares, n’est pas connu du grand public. Quel Marocain pense à se renseigner sur les programmes de l’IMA et à y faire un saut à l’occasion d’un voyage dans la capitale française? Pourtant, pour ceux qui le connaissent, en deviennent des habitués.
Les activités sont très variées à l’Institut: la bibliothèque, avec ses fonds sur le monde arabe et l’islam, est l’une des plus riches de France. On trouve dans son rayon «Revues» la plupart des publications du monde arabo-musulman. Le centre de langue et de civilisation offre un enseignement de la langue et de la civilisation arabe unique à Paris, des méthodes propres à l’Institut ont été élaborées par une équipe pédagogique détachée par le ministère de l’Education nationale. L’IMA, c’est aussi un centre cinématographique spécialisé dans le monde arabe où des films classiques et porteurs de sens sont régulièrement projetés. L’évolution des populations françaises d’origine arabe fait jouer à l’IMA un rôle supplémentaire à celui pour lequel il a été destiné lors de sa création, il devient également un lieu d’intégration des apports de la culture arabe et islamique dans la culture française.

Propos recueillis
par Hakim EL GHISSASSI