«Il y a une institutionnalisation des différents cultes»
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- Écrit par SEZAME
- Catégorie : Dans la presse
Par Libération.fr
http://www.liberation.fr/page.php?Article=207354 mercredi 19 mai 2004 (Liberation.fr - 17:58)
Maroki: Quelle est la légitimité du Conseil français du culte musulman le CFCM?
Hakim Ghissassi: Il y a une institutionnalisation des différents cultes, protestants, catholiques, israélites, c'est pour cela que l'Etat et les musulmans ont besoin d'une structure permettant de faire la relation entre le culte musulman et les institutions de l'Etat. Le Conseil français du culte musulman est jeune, il est en train de se structurer, il faut lui laisser le temps pour qu'il arrive à être ce médiateur voulu. Pour ce qui concerne sa légitimité, le CFCM est une structure qui représente les lieux de culte, qui rassemble les gestionnaires des lieux à travers la France. De ce point de vue, le CFCM a sa légitimité parce que 995 mosquées ont participé à son institutionnalisation. Cependant, sur le côté purement religieux et théologique, le CFCM ne se déclare pas représentatif, comme il ne se déclare pas représentatif des 5 millions de musulmans en France.
Maroki: A quand des élections vraiment représentatives : on sait que le président actuel a été parachuté anti démocratiquement à la tête du CFCM. Quand jugera-t-on que les musulmans sont assez responsable pour élire leurs représentants?
L'instutionnalisation du culte musulman a été faite à travers des élections, ce qui n'est pas le cas pour tous les cultes. Comme la structure du CFCM est nouvelle, il y avait eu un accord entre les principales fédérations constituant le CFCM de nommer ou de désigner son premier bureau. Cependant, à l'échelle régionale, on remarque que la volonté des lieux de culte a été respectée, dans la désignation des responsables des cultes musulmans régionaux. C'est vrai, il y avait des alliances entre les différents groupes mais le choix a été respecté et aujourd'hui ces CRCM (Conseils régionaux du culte musulman) représentent effectivement les lieux des cultes régionaux. Et commencent à faire le travail de médiation avec les élus et les pouvoirs publics. Mais il faudra un temps d'acclimation afin qu'ils puissent jouer leur rôle dans la défense des intérêts des musulmans qui fréquentent les lieux de culte.
Maor: Le problème de l'islam de France, n'est-il pas d'être traversé par les origines nationales des musulmans de France?
Différentes nationalités constituent aujourd'hui le paysage musulman français et il est traversé par différentes aires culturelles. Evidemment, il y a différentes approches de la façon selon laquelle doit s'organiser l'islam et les relations qu'il doit avoir avec l'Etat. Outre le fait que certains musulmans n'avaient pas cette expérience d'être dans une société laïque, un apprentissage est en train de se faire et on remarque, dans l'action de ces musulmans, cette appropriation de la laïcité et de l'Histoire française. Peut-être que cela ne se fait pas au rythme souhaité mais c'est un processus qui s'est enclenché et on va de plus en plus vers une sécularisation de l'islam en France.
Dave_eastman: quel visage a l'islam en France par rapport à il y a 10 ans?
De la part des musulmans il y a une perception très positive. Il y a une grande évolution de l'islam en France et de la situation des musulmans en France. Premier point, l'institutionnalisation de l'islam lui-même: avoir un interlocuteur unique. En matière de la connaissance de la société française il y a également une nette évolution: les acteurs actuels font l'effort de connaître la société française et on est également devant des musulmans qui sont installés en France et ne vivent plus dans le mythe du retour. Ce qui fait qu'ils optent plus vers une socialisation et une action positive au sein de la société. Il y a des groupes radicaux, très limités,qui n'ont pas compris encore qu'ils sont dans une société avec laquelle ils doivent composer et qui restent figés dans une vision de pureté et de recherche d'un islam «matinal». Comme celui vécu il y a quatorze siècles, à l'époque du Prophète.
b[Maor: Comment les jeunes musulmans nés en France percoivent-ils ce conseil?]
Si on se limite uniquement au milieu religieux, au départ les jeunes de ce milieu ont protesté parce qu'ils ne se sont pas sentis représentés par ce Conseil. Ils n'étaient pas représentés parce que le choix du ministre de l'Intérieur, quand il a contacté les notables musulmans, était porté sur ceux qui géraient les lieux de culte et certaines personnalités dites qualifiées dans le domaine de la théologie, de l'islamologie afin qu'il y ait une certaine diversité. Cependant on trouve des jeunes représentés à travers les mosquées dans ce conseil du culte musulman. La grande majorité de ces jeunes ont un regard envers la religion comme leurs concitoyens français d'autres traditions religieuses. Pour eux la question religieuse est secondaire, les demandes sont principalement des demandes d'insertion économique et sociale.
Parisien: quelle est la proportion actuelle d'imams formés en France par rapport à ceux formés à l'étranger?
Je vais dire qu'on compte sur les doigt de la main le nombre d'imams formés en France. Même ces quelques imams ne restent pas dans leur poste car ils n'ont pas un statut clair et ils ne sont pas rémunérés correctement. A l'image de la plupart des gestionnaires des lieux de culte, ces imams sont originaires des pays tiers comme les 5 millions de musulmans. La volonté aujourd'hui des musulmans, des pouvoirs publics, est de former des imams ici en France, et d'installer des cycles de formation pour les imams officiants, afin qu'ils connaissent la culture du pays, les lois du pays et la langue du pays.
Schukree: Y a-t-il à votre connaissance une volonté de l'Etat d'aider à construire des lieux de culte dignes pour les musulmans ?
Hakim Ghissassi: De la part du ministère de l'Intérieur, il y avait des réunions avec l'Association des maires de France, et également des circulaires qui étaient envoyées afin de faciliter aux musulmans la possibilité d'avoir des lieux de culte dignes de ce nom. Nous remarquons que de nombreuses municipalités participent activement à ce que les musulmans aient des lieux de culte. Cependant, ils veulent que ces lieux de culte ne soient pas entre les mains de personnes qui peuvent les dévier de leur objectif premier qui est cultuel.
Maroki: y a-t-il des résultats concrets ?
Le CFCM est dans sa première année, nous ne pouvons pas dire maintenant qu'il y a des résultats, mais ce que nous remarquons c'est que des avancées qui sont en train de se faire, principalement un apaisement des relations avec les autorités et les élus locaux. Exemples: l'implication des musulmans avec l'Etat en ce qui concerne l'organisation de l'Aid el Kebir, la réflexion sur la nomination des aumôniers de prison et enfin l'établissement d'un programme de formation pour les ministres de culte musulman.
Bob: que penser de la forte présence de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) au sein du CFCM? Quelles sont les relations entre l'UOIF et les Frères Musulmans?
L'UOIF est la structure la plus dynamique et la plus organisée de l'islam de France aujourd'hui. Dans le processus d'institutionnalisation de l'islam, l'Etat français ne pouvait pas créer une instance représentative des musulmans sans faire appel à cette organisation. Cette organisation a des relations avec des personnalités et des structures connues par leur relation avec le mouvement des Frères musulmans. Au sein du CFCM, nous distinguons quatre types de personnes 1/ ceux qui représentent un islam traditionnel, celui de la majorité des musulmans. 2/ ceux qui sont animés par une idéologie politique 3/ des personnes représentant un islam officiel, turcs, algériens ou marocains 4/des personnes qui sont au sein du CFCM pour leur intérêt personnel, car elles pensent à des marchés juteux que peut leur procurer le CFCM.
Maroki: quels sont les grand défis du CFCM, et plus généralement de l'islam et de la société francaise aujourd'hui ?
Le défi principal du CFCM aujourd'hui c'est la formation des cadres religieux musulmans. Comment les musulmans peuvent-ils former des imams, des gestionnaires de lieux de culte, qui soient au courant de l'Histoire de la France, de la société française, et de ses différents courants et comment opérer le mariage entre leurs traditions religieuses et l'espace laïc dans lequel ils vivent. Il faut également que la société française fasse l'effort de connaître les musulmans et de ne plus traiter les populations de culture musulmane seulement à travers le prisme des handicaps, car ces population, aujourd'hui, on les rencontre dans les différentes strates de la société. Les musulmans ne sont pas seulement des personnes qui vivent dans des situations difficiles ou dans des quartiers difficiles.