Bassora ou le dernier voyage de sindbad
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- Écrit par SEZAME
- Catégorie : La medina N° 22
En l’an 700, des commerçants musulmans s’étaient installés dans l’actuel Sri-Lanka et les échanges s’étaient peu à peu intensifiés entre Bagdad et L’Inde. Les cotonnades, les plats de cuivre et d’argent, les chevaux et les parfums partaient sur des navires longeant soit les côtes omanaises soit les côtes de Perse et du Sind et revenaient d’Extrême-Orient chargés de teck, d’ambre et de rubis, et noix de coco et de peaux de panthères. Lorsqu’ils s’aventuraient plus loin que l’Inde, vers Java ou Sumatra, ils faisaient alors provision de bois de santal, de camphre, de muscade et de poivre. En Chine, ils achetaient du papier, de l’encre, des feutres, de la cannelle, du musc… Bassora était alors un des creusets de la civilisation musulmane, de sa mystique, une capitale de l’intelligence.
Désormais le port sommeille et des soldats statufiés, disposés les uns à la suite des autres pointent du doigt l’Iran voisin et Fao, ville martyre de la guerre entre les deux pays, là où avaient accosté en 1291 Marco Polo accompagné d’une princesse mongole destinée à devenir l’épouse du roi de Perse. Trente ans avant, la ville avait été détruite par ses pairs.
L’Américain Douglas Fairbanks Jr, en Sindbad le Marin, n’a jamais vu le capitaine anglais Lawrence, en Sindbad le Saharien, sillonnant Bassora en 1915, et comprenant que pour vaincre l’occupant turc, il fallait donner l’indépendance aux Arabes – et on le lui fit croire, à lui comme on le fit croire aux Arabes – . Il n’a jamais vu Bassora non plus, et il n’aurait jamais imaginé dans le décor de carton-pâte scintillant où il évoluait, que tant de sang allait plus tard noyer la ville, à la fin du XXème siècle, sur les routes venant de l’Emirat voisin où des colonnes de pauvres fuyards furent abattues, dans les quartiers chiites où les habitants furent massacrés, sur les draps des hôpitaux où l’on meurt pour rien, juste par punition.
S’il avait su tout cela et tout ce qui se prépare, il aurait appareillé pour un huitième et dernier voyage, vers de nouveaux paradis en technicolor, loin des souffrances des Iraqiens de Bassora, de leurs silences apeurés, prisonniers de la folie d’autres hommes.