Le barrage des Trois Gorges en Chine, dont la construction s'est achevée samedi, est vanté par Pékin comme la panacée aux problèmes d'électricité et d'inondation mais ses détracteurs dénoncent une catastrophe pour l'environnement, le patrimoine et les populations locales.
Pour les autorités, le plus grand projet hydroélectrique du monde permettra de domestiquer le gigantesque fleuve Yangtse, plus long du pays (6 360 km) dont les crues ont fait des centaines de milliers de victimes.
Quand il sera mis en service en 2008, le barrage pourra produire près de 85 milliards de KWH par an d'électricité, une aubaine pour un pays à forte croissance économique où les pénuries d'énergie sont chroniques, souligne le gouvernement.
Mais les pourfendeurs du projet titanesque y voient plutôt l'œuvre du diable.
« Selon moi, construire le barrage des Trois Gorges est une mascarade grotesque et diabolique », enrage Dai Qing, une des plus ferventes opposantes au projet, sur le site internet Three Gorges Probe ("Les Trois Gorges, l'enquête").
« Nombreux sont ceux qui savent que quelque chose ne va pas avec ce projet mais peu osent parler », assure-t-elle sur le site web du centre canadien Probe International (Enquête internationale).
Le barrage a d'ores et déjà des « impacts sociaux et environnementaux titanesques », a estimé vendredi l'organisation écologiste Les Amis de la Terre.
« Sur le fleuve Yangtse, le barrage des Trois Gorges noiera 13 villes et 4 500 villages et engloutira 162 sites archéologiques, dont certains parmi les plus importants de Chine », dénonce l'ONG dans un communiqué publié vendredi à Paris.
Selon les Amis de la Terre, le coût initialement prévu de 25 milliards de dollars « a dérivé de 50 % par rapport à l'estimation initiale ».
Les écologistes accusent par ailleurs le barrage de « mettre en danger la plus grande ville de Chine, Shanghaï, peuplée de 15 millions d'habitants, pourtant à 900 km de là dans le delta du Yangtse ».
En avril 2006, une étude scientifique a mis en évidence que les zones bordant le fleuve se sont érodées de 4 km2 par an à certains endroits depuis la construction du barrage, par rapport à la moyenne entre 1951 et 2004.
En cause, les sédiments charriés par le fleuve qui sont désormais bloqués par le projet, précise l'association, estimant que « cette érosion massive menace une mégapole qui attire chaque jour davantage de monde ».
Selon d'autres écologistes, le réservoir risque très vite de devenir une poubelle à ciel ouvert, les responsables admettant qu'il recevra chaque année 200 000 m2 de détritus en provenance des dizaines de millions de foyers vivant alentour.
Pour la faune, le barrage pourrait signifier la disparition des très rares dauphins du Yangtse. Pour les hommes, il a déjà provoqué le déplacement de 1,13 million de personnes, dont des communautés qui, parfois, vivaient dans la région depuis des millénaires.
Et les transferts pourraient ne pas être terminés. Les Amis de la Terre évaluent ainsi à « près de 2 millions » le nombre de déplacés « avec des réinstallations (qui) se font parfois à la matraque et au bulldozer », ajoute l'ONG, dénonçant des « violations des droits humains brutales et massives ».
Cela signifie également la disparition de rares traces d'une civilisation chinoise millénaire dont les rives du Yangtse sont le berceau.
Les archéologues ont lutté contre la montre pour sauver ce qui pouvait encore l'être. Ils ont notamment déplacé un temple vieux de 1 700 ans.
Par Peter HARMSEN, PEKIN, 20 mai 2006 (AFP)