Entretien avec Abdellah Boussouf, directeur du centre européen des études islamiques de Bruxelles
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- Écrit par SEZAME
- Catégorie : Migrations
Ces liens sont avant tout d’ordre culturel et cultuel. J’ai, personnellement, des réserves sur les liens partisans qui peuvent exister. Les relations doivent être avant tout avec le Maroc et ses institutions stables.
Dans l’optique de la représentativité des Marocains résidant à l’étranger, au parlement marocain, nous avons vu les partis politiques faire le tour de cette communauté pour attirer ses voix, qu’en pensez-vous ?
Les partis politiques marocains sont entrés dans une compagne électorale prématurée sur le sol européen, alors qu’elle n’a pas encore vraiment commencé au Maroc. Nous remarquons l’absence d’une vision claire de la part de ces partis en ce qui concerne la nature de la représentativité de cette communauté aux élections législatives marocaines de 2007. En tout cas, il ne faudrait pas qu’une filiation politique soit à la base d’une division au sein de cette communauté.
Quel représentativité voyez-vous pour cette communauté ?
C‘est difficile aujourd’hui de parler de l’organisation d’élections des députés au sein du parlement marocain. S’il faut militer dans un parti, il est plus judicieux de le faire dans un parti européen, pour participer à la construction européenne et être un élément constructif qui contribue à faire aboutir les questions concernant les gens vivant en Europe. C’est dans ce sens qu’il est inconcevable qu’un citoyen français d’origine marocaine adhère à un parti marocain sans que cela pose des questions. Cela donnera du grain à moudre à l’extrême droite pour justifier la difficulté d’intégration ou le refus de celle-ci par cette communauté. D’un autre coté, le Marocain qui veut participer aux élections a la possibilité de le faire depuis la région d’origine du Maroc, par le biais d’un procuration ou par internet.
Les partis politiques doivent avoir une vision de la place que doit tenir la communauté marocaine résidant à l’étranger sur l’échiquier politique marocain. Verra-t-on un jour des ambassadeurs, des consuls ou des leaders politiques issus de cette communauté ?
Comment donner un sens à la proposition royale de donner une représentativité aux Marocains résidant à l’étranger ?
Je crois que la création du Conseil supérieur des Marocains résidant à l’étranger peut répondre aux besoins de cette communauté. Ce conseil sera un espace de débat et de dialogue entre les représentants de cette communauté et les pouvoirs publics. Les aspirations de cette communauté pourront ainsi aboutir et avoir un écho au Maroc même. Participer aux élections législatives marocaines n’est pas une priorité pour eux. La communauté marocaine résidant à l’étranger est par contre très attachée à la participation, à tous les niveaux, à la construction de son pays d’origine. C’est pour cela qu’il y a de plus en plus d’investisseurs d’origine marocaine qui viennent investir au Maroc et participer à son développement économique.
Ces derniers temps, l’image du Maroc ou des Marocains résidant en Occident a été écorchée. Pourquoi d’après vous ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela. D’un côté, une partie de ceux qui traitent des Marocains ou du Maroc n’ont qu’une connaissance limitée de ce pays, de sa culture, de son économie et de sa société. Certains n’hésitent pas à participer à des campagnes de dénigrement volontaires. Aussi, une partie des Marocains résidant en Europe ne représente pas, ou mal, la vraie image de son pays d’origine. D’un autre côté, le gouvernement marocain ne s’investit pas assez pour dynamiser la communauté marocaine résidant à l’étranger, en créant, par exemple, des centres culturels et en produisant des produits culturels de qualité et les mettre à la disposition du tissu associatif marocain pour faire connaître la vraie image du Maroc, pays d’ouverture, de tolérance. Les Marocains résidant à l’étranger sont demandeurs de ce genre d’initiatives G Géducatives et culturelles pour améliorer l’image du Maroc. Cette communauté regorge de compétences, aussi il faudrait la motiver par des actions concrètes pour l’inciter à s’investir au Maroc et à le promouvoir à l’étranger. Elle se sent fortement concernée par ce qui se passe au Maroc, donc il est très légitime qu’elle veuille participer au débat national marocain.
Les relations maroco-algériennes connaissent des tensions. L’entente entre les communautés marocaines et algériennes en Europe peut-elle contribuer à rapprocher ces deux pays ?
Cette tension n’est que passagère et se dissipera avec le temps. Nous retrouvons ses répercussions sur certains plans, surtout au niveau de la représentativité de l’islam. C’est une situation qui n’est bénéfique pour aucune des deux communautés. L’entente au sein de la communauté maghrébine ne peut qu’aider à rapprocher les peuples et les pays maghrébins entre eux et avec les pays européens ; c’est en tout cas notre souhait. La réalité maghrébine et européenne nous impose de promouvoir des projets en commun et d’unir nos efforts pour affronter les défis qui se présentent à nous.
Vous dites que la laïcité a beaucoup servi les musulmans en Europe et surtout en France. Est-ce que les musulmans doivent être les premiers à défendre cette laïcité ?
Moi, en tant que musulman européen, je reste très attaché à la laïcité et je la défends. C’est cette laïcité qui me permet de pratiquer ma religion en toute liberté et d’être sur le même pied d’égalité avec les autres citoyens devant la loi. Pendant la période de l’Inquisition en Andalousie, les musulmans et les juifs ne pouvaient pas pratiquer normalement leur religion. Avec l’Etat laïque, est apparue la liberté de vivre et de pratiquer son culte.
Votre vision de ce que doit être « l’islam européen » ?
Il faut inventer un modèle européen. On ne peut pas appliquer en Europe un islam géographique lié à telle ou telle région ou un islam historique lié à telle ou telle tendance. Il faut un islam qui s’adapte à l’Europe avec ses besoins et ses défis. Pour y répondre, l’effort d’interprétation doit aller dans ce sens. Nous devons donner des réponses claires aux questions qui nous interpellent comme la relation de la religion et de l’Etat.
Quel rôle peuvent jouer les musulmans en Europe?
Les musulmans en Europe doivent jouer un rôle positif et être un facteur de stabilité, de sécurité et de prospérité. Il est de leur devoir de défendre la pluralité culturelle et religieuse, de promouvoir le dialogue interreligieux et d’être un lien de rencontre avec le monde musulman. N’oublions pas que certaines parties ont intérêt à ce qu’un climat de peur et de confrontation s’installe entre l’islam et l’Occident, surtout sur le sol européen. L’un des défis des musulmans d’Europe est d’améliorer l’image de l’islam, de faire en sorte qu’elle devienne une religion comme les autres, d’une certaine manière, de la banaliser.