L'immigration illégale, entretien avec Khalid Zerouali, Gouverneur, Directeur de la Migration et de la Surveillance des Frontières au Maroc
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- Écrit par SEZAME
- Catégorie : Migrations
La physionomie de la migration illégale est passée de tentatives isolées et individuelles, qui concernaient surtout des nationaux, à une configuration de flux massifs, qui sont instrumentalisés par des groupes mafieux et des groupes criminels, avec une prédominance de pays tiers, surtout au sud du Sahara. Donc il était nécessaire, au delà de l’aspect sécuritaire, d’inscrire cette question dans un cadre stratégique qui repose sur cinq composantes : les réformes législatives et institutionnelles, la sécurité, la coopération internationale, la sensibilisation et la communication et enfin le développement et le co-développement.
L’objectif des réformes législatives entreprises ?
C’est la loi 02-03. Elle nous permet d’agir dans un cadre légal en termes d’actions sécuritaires (le trafic des migrants a été criminalisé), mais aussi pour garantir les droits des migrants légalement établis sur le territoire national, puisque les voies de recours sont explicitement reconnues.
Votre cible en matière de sécurité ?
Notre action sécuritaire cible non pas le migrant mais surtout les réseaux, ces groupes criminels qui profitent de la vulnérabilité, de la précarité et de la pauvreté des gens. Le résultat de cette action est, par exemple, le démantèlement de 484 réseaux l’année dernière. Aujourd’hui le trafic des personnes est une activité illicite très lucrative. Prenons l’exemple de la composante traite blanche qui concerne 800 000 personnes dans le monde, elle génère 10 milliards de dollars. Vous pouvez extrapoler sachant qu’aujourd’hui on parle de millions de personnes en situation irrégulière dans le monde, donc ce que ça génère comme revenus aux groupes criminels.
Certains disent que le Maroc fait le gendarme pour l’Europe ?
Notre position est claire, le contrôle des frontières a pour objectif de protéger les populations contre toutes les formes de criminalités transnationales. Il faut rappeler que le Maroc est dans une zone où il y a beaucoup de conflits comme la zone du Sahel et du Sahara. D’un autre côté, le Maroc assume ses responsabilités régionales.
Le Maroc seul pourra-t-il faire face à cette émigration illégale ?
Notre pays à lui seul ne peut pas gérer ces flux illégaux. Il est très important que tous les pays, qu’ils soient d’origine, de transit ou de destination coopèrent et essayent de trouver des solutions innovantes à ces questions dans le cadre d’une coopération internationale. Notre stratégie c’est le retour volontaire. Au niveau de la coopération sud-sud, le Maroc et ses frères africains ont pu monter un modèle de coopération très efficace à travers ces retours volontaires mais aussi à travers l’action globale du Maroc en Afrique.G G Il y a pratiquement 7 000 étudiants africains au Maroc avec des bourses marocaines.
Et avec l’Espagne ?
Nous coopérons aussi avec l’Espagne. Nous faisons des patrouilles mixtes, nous nous sommes attelés à la question des mineurs pour prévenir leur émigration illégale. Au niveau des flux illégaux, nous sommes à moins 65% donc, pour capitaliser sur cette réussite, nous avons demandé à nos amis espagnols de travailler prioritairement sur la migration légale. La meilleure réponse que l’on pourra trouver à l’émigration illégale, c’est l’encouragement de flux légaux. Nous travaillons aussi avec eux sur la question du développement dans les zones pourvoyeuses de l‘émigration illégale. Les pateras dont beaucoup parlent concernent moins de 5 % d’illégaux qui arrivent en Espagne. La coopération maroco-espagnole, dans ce sens, est un modèle de coopération nord-sud.
Qu’en est-il au niveau de la sensibilisation et de la communication ?
Là je dois dire que la société civile, les ONG marocaines, qui sont dynamiques, font du bon travail de sensibilisation et contribuent à leur manière dans la lutte contre le trafic des personnes. L’année dernière nous avons réduit de 27% le nombre de candidats à l’émigration illégale d’origine marocaine.
Pour agir sur les causes profondes de l’émigration clandestine, le développement durable est-il une réponse clef ?
Justement, au niveau du développement local, des initiatives comme l’Initiative nationale pour le développement humain sont des actions qui aident à la sédentarisation des personnes. La réponse sécuritaire ne suffit pas. Dans cette perspective, le Maroc avait appelé, lors de la réunion des ministres de l’intérieur de la Méditerranée occidentale en Octobre 2005 à Rabat, à un plan Marshall pour l’Afrique. Un exemple, quand un certain nombre de pays ont été envahis par les crickets pèlerins, le Maroc avait appelé les pays européens à venir en aide à ces pays car cela se traduirait par l’augmentation des candidats à l’émigration illégale. C’est ce qui s’est passé après cette vague du début 2005, il y a eu une augmentation de 25 % de candidats subsahariens à l’émigration illégale. D’un autre côté, notre continent perd quand même environ 200 000 cerveaux par an, ce qui fait un manque à gagner de 4 milliards de dollars. Encourager la fuite des cerveaux est une autre forme de trafic qui passe inaperçue et qui pénalise davantage le continent africain. C’est quoi la différence entre un rabatteur qui va dans un village pour recruter des personnes pauvres et vulnérables et un « col blanc » qui vous prend toute une promotion d’ingénieurs ? Il y a un grand débat à avoir là-dessus. Le continent africain a besoin de ses compétences et de ses ressources humaines pour pouvoir accomplir ses réformes et son développement. Le temps est venu de rendre tangible l’esprit de la responsabilité partagée. C’est pour cela que le Maroc avait appelé à la tenue de la Conférence euro-africaine sur la migration et le développement. Une occasion pour les protagonistes de se mettre autour d’une table pour trouver les véritables mécanismes afin de concrétiser l’esprit de solidarité d’une manière tangible et ressentie par les populations et proposer des solutions audacieuses.
Le Maroc se situe où dans cet esprit de solidarité ?
Nous, à la limite, on veut que l’Europe vienne, en priorité, en aide à nos amis africains. Notre vocation africaine nous permet aujourd’hui d’agir comme un pont entre l’Europe et l’Afrique. Nous avons une grande expérience dans la coopération sud-sud. Nous pouvons donc véhiculer et encadrer cette assistance vers nos frères africains.
Est-ce que l’Europe a une vision commune en matière de migration ?
La vision des pays du nord n’est pas celle des pays du sud de l’Europe, et parmi ces pays du sud, la stratégie espagnole est différente de celle de la France ou de celle de l’Italie. Cela rend parfois la coopération difficile car il faut adapter son discours. Nous souhaitons, donc, que l’Europe ait un discours homogène, entre les différents pays, en matière de migration, donc une stratégie migratoire commune.